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Chopin l'intemporel
31 janvier 2017

Interpréter Chopin

 

Couverture_Biegas - Copie

 

 

"Beethoven mal joué est ennuyeux ; Chopin mal joué est insupportable." Cette affirmation péremptoire de Dominique Jameux résume une indubitable constatation : la poésie exaltée qui fonde l'art musical de Frédéric Chopin peut facilement se défaire en une mièvre sensiblerie, tout comme elle permet, si elle est magnifiée par des mains et un esprit aguerris, de tendre à l'état de grâce. Celui-ci fut heureusement approché à plusieurs reprises, l'oeuvre chopinienne occupant depuis son origine une place de prédilection dans la formation et le répertoire des virtuoses du piano.

 

De son vivant, Chopin s'entoura des meilleurs pianistes de son temps qui défendirent et diffusèrent sa musique hors des cercles étouffants de la mondanité et au-delà des frontières de la France, tels Ferdinand Hiller (1811-1885), George Osborne (1806-1893), qui, dans ce répertoire, suscitait l'admiration d'Hector Berlioz, Clara Schumann, née Wieck (1819-1896), l'une des premières à répandre les créations du maître polonais en Europe, ou encore Franz Liszt (1811-1886), qui poursuivit entre 1839 et 1847 une éminente carrière de concertiste dans un répertoire s'étendant de Johann Sebastian Bach à Chopin dont il appréciait notamment l'originalité compositionnelle. A sa suite, d'autres célèbres pianistes-compositeurs trouvèrent en Chopin l'une des voies privilégiées de leur expression, dont Ignacy Jan Paderewski (1860-1941), qui surfa sur la vague du nationalisme pour susciter l'enthousiasme à chacune de ses exécutions de la musique de son compatriote, et Serge Rachmaninov (1873-1943), doté d'une maestria légendaire du plus bel effet dans le répertoire chopinien, particulièrement la Deuxième Sonate, bien que n'hésitant pas à s'octroyer quelques libertés vis à vis de la partition afin d'y exprimer sa vision toute personnelle.

 

Quelques disciples de Chopin transmirent les secrets de sa technique pianistique, faisant ainsi école. Emile Descombes et Georges Mathias formèrent au Conservatoire de Paris Alfred Cortot (1877-1962), qui, bien que possédant un répertoire immense, fut surtout acclamé pour sa compréhension sensible de la musique romantique et chopinienne avant d'être vilipendé par les modernistes durant les années 1950-1960,  lui préférant "l'objectivité" d'un Maurizio Pollini. Pédagogue réputé, A. Cortot enseigna au sein de ce même conservatoire et travailla avec trois pianistes qui excellèrent dans l'interprétation de Chopin : Vlado Perlemuter (1904-2002), personnalité effacée qui tenta de réhabiliter le Chopin authentique, sans langueurs ni artifices ; Samson François (1924-1970), incarnation de la verve rhapsodique encensée par Vladimir Jankélévitch, qui se démarqua par son incroyable pouvoir narratif, l'expressivité de son chant et sa spontanéité enfantine ; Dinu Lipatti (1917-1950), le miraculeux, seul pianiste au monde pouvant "se flatter de rejoindre à ce point l'auteur qu'il interprète", atteignant une perfection jugée "inégalable" (Camille Bourniquel). Karol Mikuli, autre élève de Chopin à Paris dans les années 1840, tenu en profonde estime par ce dernier qui en fit son assistant et son copiste, légua son héritage à l'oublié Raoul Koczalski (1884-1948), considéré comme l'un des meilleurs pianistes polonais de sa génération et comme "le plus pur représentant de la tradition chopinienne" (Philippe Morant).

 

Depuis 1927, quelques prodigieux talents furent découverts et consacrés par le Concours international de piano Chopin, particulièrement entre 1955 et 1975. Retenons Vladimir Ashkenazi (né en 1937), la farouche et éclectique Martha Argerich (née en 1941), Maurizio Pollini (né en 1942), exemple frappant de maîtrise absolue du clavier auquel il est parfois reproché une certaine distance émotionnelle, signe d'une rigueur musicale qui refuse de se compromettre avec la sensiblerie et dont l'enregistrement du Premier Concerto reste une référence, Krystian Zimmerman (né en 1956), le plus jeune primé de ce concours en 1975, se distinguant par l'élégance, la finesse et l'intelligence de son jeu. Celui-ci eut la chance de se perfectionner auprès de l'indémodable Arthur Rubinstein (1887-1982) qui possédait ce don rare de faire parler et chanter chaque note et légua une interprétation "idéale" de Chopin (Max Loppert), perfectible dans sa virtuosité mais imprégnée d'une éloquence à la fois passionnée et contenue et d'une aristocratique poésie.

  

Carine Seron

Université libre de Bruxelles

(brochure "Chopin 2010 en Belgique")

 

 

 

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Commentaires
J
J'ai écouté Blechacz. Excellent, impeccable, mais peut-être un peu trop classique à mon goût; De façon générale, j'aime bien que l'interprète propose un monde personnel, une façon de jouer personnelle, quelque chose qui le singularise et qui me convainc;<br /> <br /> Par exemple : le monde sensuel et fort de Lisitsa :<br /> <br /> nocture noct op 48 <br /> <br /> https://www.youtube.com/watch?v=c94nySKKoWE<br /> <br /> Le monde aérien, ineffable de Kobayashi : <br /> <br /> ballade en G minor <br /> <br /> https://www.youtube.com/watch?v=OmN_uWRaxuQ<br /> <br /> <br /> <br /> De toute façon, cela dépend du morceau. J'aime tel interprète pour un morceau, tel autre pour un autre morceau..<br /> <br /> J'aime bien Trifonov, mais à part cela, j'e boude depuis un bon moment tous les artistes installés comme Pollini et tous ceux dont YouTube me rebat les oreilles.
J
Et vous, chère madame, avez-vous des interprètes préférés de Chopin actuellement, cette affaire d'interprétation est des plus passionnantes. ?
C
Je suis tout à fait d'accord. Chopin faisait montre d'une grande énergie dans sa musique, ce que semblent ignorer ceux qui le connaissent mal et le taxent à tort de mièvrerie . On s'étonne même du déferlement d'énergie de certaines œuvres en comparaison de la personnalité même de Chopin qui, aux dires de tous ceux qui le côtoyaient était un être éthéré, "à peine incarné" tant il semblait ne pas appartenir au plan terrestre. Sa musique traduit tous les états de l'âme humaine, c'est en cela qu'elle est universelle et nous touche directement au cœur.
J
Bien des œuvres pour piano de Chopin (scherzos, études, impromptus, ballades..) sont partagées entre des phases très mélodieuses, romantiques et des phases rythmées, énergiques. Ce qui n'est pas immédiatement compréhensible si on ne fait pas le lien entre elles. Il ne faudrait pas se faire l' image d'un Chopin incorrigiblement mélancolique et langoureux.
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